Lorenzaccio revisité

illustration 01Entre burlesque et tragédie

À peine les lumières éteintes, lorsque les comédiens aux costumes extravagants se mettent à danser sous une pluie de confettis et une musique tapageuse, nous comprenons le décalage que porte la pièce de Catherine Marnas. D’entrée de jeu, nous sommes projetés à l’intérieur d’une mise en scène atypique et contemporaine.


La directrice du Théâtre National de Bordeaux nous fait redécouvrir l’histoire publiée en 1834 par d’Alfred de Musset dont nous pensons tout connaître. La scène se déroule au 16ème siècle sous le règne d’Alexandre de Médicis à Florence, où l’on dénonce une impuissance révolutionnaire semblable à celle des journées révolutionnaires de juillet 1830. À travers son drame romantique, Musset dépeint la lâcheté des grandes familles républicaines, qui accusent l’injustice mais restent incapables de faire face à leur devoir. Catherine Marnas rend un hommage remarquable à l’œuvre du poète et dramaturge français malgré un texte resserré. Elle a su conserver avec efficacité le sens profond de la pièce. Nous sommes plongés dans un théâtre moderne proche de son public où rien n’est caché et où tout est donné à voir grâce à la scène scindée en deux dans sa largeur par une estrade bordée d’un vaste rideau en lames de plastiques transparentes. Par ailleurs, le quatrième mur semble supprimé amenant une proximité inaccoutumée avec les personnages.
Mais Lorenzaccio ce sont aussi deux heures très rythmées où la tragédie se mêle à l’artificiel de la joie. Au cœur d’une félicité collective, l’affront domine chez les personnages qui se cachent derrière un masque. Toutefois, parmi les entrées et sorties incessantes des huit acteurs, notre regard et notre attention se posent principalement sur le personnage de Lorenzo, interprété par Jules Sagot. Cet homme au double visage qui projette de tuer le tyran Alexandre pour libérer la ville et aspirer à un monde nouveau, nous captive par son caractère cynique et tourmenté. Son ambivalence se déploie tout au long de la pièce. Magnifique et agile, Lorenzo offre un supplément d’espoir dans le contexte contestataire de l’époque. 
Mêlant les rires et les étonnements, les non-dits et les surprises, Lorenzaccio est une merveille anachronique à l’ambiance envoûtante, mais aussi un écho au cynisme du monde d’aujourd’hui.

Vu au théatre de l’Aquarium. Le 10 octobre 2017, Vincennes. Texte écrit par Chloé Gaertner (DSAA).

 

illustration 02Lorenzaccio : le double au théâtre

Originellement inscrite dans la série du « théâtre dans un fauteuil » créée par Musset, la pièce Lorenzaccio est d’une telle complexité qu’elle n’est pas destinée à être jouée. De nombreux metteurs en scène, conquis par la beauté et la pertinence du texte, ont pourtant relevé ce défi. Parmi eux, Catherine Marnas, dont nous avons pu voir l’adaptation au Théâtre de l’Aquarium de Vincennes.

Cette mise en scène explore en profondeur le thème du double, substantifique mœlle de Lorenzaccio. Musset choisit la Florence dépravée du XVIè siècle pour parler de sa propre époque, le XIXe siècle, et utilise le théâtre pour parler de la vie. Dès son origine, Lorenzaccio est donc une œuvre à double sens. Le personnage de Lorenzaccio lui-même, étudiant érudit converti en bouffon de cour, camoufle ses ambitions régicides sous le costume de favori du Duc.

Cette duplicité dans le discours est renforcée par plusieurs éléments de la mise en scène. Tout d’abord, l’espace traditionnel de la scène est revisité, séparé en deux par un rideau de plastique. Cette frontière est à la fois suffisamment transparente pour laisser apercevoir le fond de la scène, et suffisamment opaque pour brouiller les silhouettes et le son. L’action principale est ainsi parfois mise en relief par une action en arrière-plan, notamment au moment où le Cardinal Cibo, ecclésiastique manipulateur, rend visite à Alexandre de Médicis. Celui-ci s’extraie de la fête qui se joue derrière le rideau, renoue cravate et lacets pour discuter affaires avec le cardinal. En toile de fond de leur discussion, la débauche bat son plein, comme pour indiquer au spectateur le véritable visage de ces hauts dirigeants. Ce dédoublement, entre scènes officielles et orgies, souligne l’état de décomposition de Florence, rongée par la corruption et le vice. L’arrière du rideau est aussi l’espace réservé aux bannis, aux révolutionnaires et au peuple, en somme, ceux qui ne suivent pas la marche ordonnée par le Pape et qui sont dangereux pour le règne du Duc.

Ce recours au dédoublement de l’espace, très pertinent pour une pièce aussi complexe que Lorenzaccio, rend les différentes strates du discours visibles et facilement compréhensibles.Le thème du double est aussi souligné à travers la répartition des rôles. En jouant chacun deux personnages différents au moins, les huit comédiens présents sur scène arrivent à créer l’impression d’une galerie de personnages très étendue. Couramment utilisée au théâtre afin de faire jouer plusieurs personnages par une troupe réduite, cette technique devient ici un élément assumé qui sert le propos du texte. Le moment où, sous les yeux étonnés du public, le noble Philippe Strozzi arrache chemise et cravate pour revêtir un habit de débauche, confirme le double jeu permanent des personnages. Cette ambivalence résonne avec celle de Lorenzo, avec sa double personnalité, nécessaire à la mission qu’il s’est fixée et cependant cause de sa propre perte.

Les changements de costumes sont toutefois réalisés de manière assez subtile pour ne pas troubler l’identification des personnages, tout en créant la sensation d’une réalité distordue.Cette distorsion de la réalité s’effectue aussi dans le rapport entre le public et la scène. Le traditionnel « quatrième mur » séparant les spectateurs des comédiens est mis à mal à plusieurs moments de la pièce. Le plus emblématique d’entre eux reste le passage où Alexandre apparaît en haut des gradins et rejoint la scène en descendant aux côtés du public. Les tirades de Lorenzo, tourné face au public et semblant le héler, contribuent aussi à cette interpénétration des espaces du théâtre.
Multipliant les espaces de jeu, dédoublant les comédiens et franchissant le « quatrième mur », Marnas nous offre une version à la fois fidèle et contemporaine du drame romantique de Musset. Tout en conservant la beauté et la violence du texte, cette adaptation met l’accent sur la notion de duplicité, à la fois fil conducteur de l’intrigue et raison d’être du personnage de Lorenzo.

Vu au théatre de l’Aquarium. Le 10 octobre 2017, Vincennes. Texte écrit par Manon Veyssière (DSAA)

 

Mots-clés: DSAA, Théâtre

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